Mis en ligne le 8 mars 2016
La politique est devenue un objet de moquerie, voire de répulsion. Peut-on la réhabiliter ? Les mots sont usés ou trahis. La Politique est ici employé au sens de projet pour la Cité commune, bien qu’il ait aussi d’autres sens. Et notamment : Le politique comme champ de confrontation pour le pouvoir. Nous y reviendrons.
Nous avons besoin d’une réflexion nouvelle sur le sens usuel des mots de la politique : la gauche, le socialisme, le communisme, l’écologie, et même l’éclat de l’autogestion après 1968. Le mot commun fait aujourd’hui son chemin, non sans confusion. Par exemple on ne sait plus parler des services publics, alors on les nomme « biens communs ». Mais cela peut rétrécir la portée de ce qui se joue dans « le commun » comme pratique et comme pouvoir d’agir. Ce mot a donc besoin aussi d’être travaillé (ah ! le mot travail !). Emancipation revient également en force.
Du vingtième au vingt et unième siècle, les mots de la politique ont muté au moins trois fois. Au vingtième siècle, ils ont tenu bon longtemps. La dispute portait sur le clivage réformisme et révolution. Mais un défi a surgi très tôt : comment nommer et combattre la difformité bureaucratique monstrueuse qui rendait méconnaissable l’élan brisé de 1917 ? On parla de démocratie autogestionnaire, catégorie transversale à la génération post-1968, y compris dans les rangs communistes. Certains forgèrent aussi l’eurocommunisme pour indiquer une distance sans précision avec « l’Est ».
Et puis il y a eu la chute des murs vermoulus du bureaucratisme d’Etat, aussitôt suivie de l’offensive dite de la mondialisation capitaliste. Nous avons alors constaté que nous ne pouvions plus ou que nous ne savions plus exprimer des certitudes. Les politiques émancipatrices ont dû renouveler une première fois leur langage. Contre les dérives social-libérales, nous avons opposé l’alternative. Et le mot a pris de l’extension internationale. L’antilibéralisme a été un puissant moteur, rassemblant des forces et des mouvements, même si plusieurs hypothèses co-existaient en son sein : quelle rupture et quel après ? Pendant 20 ans, de 1995 à 2015, la dispute politique portait sur les contenus d’une gauche d’alternative antilibérale : comment dérouler un fil conducteur subversif en partant du combat contre le chômage, la précarité, les inégalités, la finance. Nous avons même commencé à construire un projet altermondialiste et alter-européen. 2005 a été une acmé en France. Mais il faut le dire : dix ans après, nous avons échoué.
La mondialisation capitaliste est mue par une force totalitaire, aussi bien géographiquement que dans le tissu historique des sociétés. Nous sommes face à une dissolution globale des liens humains de civilisation. Le monde est bel et bien devenu une marchandise. Tous les êtres humains sont à tout moment menacés par le système global et doivent donc survivre par la compétition permanente, encourageant le cynisme, le mépris, la violence. Le socle socioculturel lui-même est désagrégé, engendrant un hyper-relativisme des valeurs, avec des attitudes cruelles et barbares. Les problèmes immenses non résolus dans les territoires de sous-développement se sont mués en déchainements violents. Les Etats s’effondrent d’abord dans les pays les moins développés, mais l’Europe est atteinte. La peur d’un monde insensé engendre des pulsions identitaires, racistes, nationalistes. En 2015, le chaos mondial a rejoint quotidiennement le chaos idéologique national. Les gauches de gouvernement, à force de reniement, ont détruit le désir politique. Leurs porte-parole sont aujourd’hui tentés de franchir les derniers mètres symboliques qui les séparent du bloc des droites. Le vieux fond français vichyssois se nourrit de ce vide pour faire jaillir un fascisme possible.
Une nouvelle fois, les politiques émancipatrices sont à réécrire. Il ne suffit plus de vouloir une bonne politique de gauche. Il faut faire un pas de côté et en réexposer autrement les fondements, dans une synthèse nouvelle. Egalité comme principe intangible contre identité fantasmée, liberté sans frontière contre les murs infranchissables, solidarité et humanisme universel contre repli national, invention démocratique et associative, innovation écologique contre irresponsabilité productiviste, délibération et bienveillance au travail contre cynisme managérial, appropriation d’usage, république et démocratie sociales : tels sont les mots qui peuvent nourrir l’imaginaire de la société. Le peuple politique de la gauche historique a besoin de les prononcer avec une tonalité nouvelle, qui créée du lien. Un ancien passé révolutionnaire et un déjà-là émancipateur, bien réel autour de nous mais sans voix forte, peuvent se parler et reconstruire une dynamique de portée nationale. Autour de pratiques et de ce commun humain ré-institué, la politique peut peut-être repartir. En tout cas essayons.