Michèle Riot-Sarcey
Mis en ligne le 29 mars 2017
Texte paru dans le journal L’Humanité du 7 mars 2017
Nous sommes nombreux à nous interroger sur la situation d’incertitude dans laquelle nous plonge la campagne électorale. Nous assistons au spectacle impuissants, silencieux et tentons vainement d’appréhender des enjeux indéchiffrables. Afin d’échapper à la justice, la droite s’enfonce dans une dérive qui frise l’inconscience. Pendant ce temps la vie réelle continue et se déroule au gré des manifestations contre les violences policières tandis qu’auprès des migrants, les associations se mobilisent et comblent, tant bien que mal, l’incurie des Etats français et européens. Et toujours les nouvelles des licenciements, ponctuées de grèves, apparaissent sur les écrans, entre deux prises de paroles des candidats et entre deux affaires.
L’électorat de gauche est, malgré tout, unanime à projeter, à très court terme, une refondation de la démocratie dans le cadre d’une « vraie république » comme l’ont proclamée, il y a bien longtemps, les héritiers de 1792. C’est le seul moyen de s’en sortir par le haut. Il serait peut-être temps de retrouver le sens des mots d’une devise républicaine dont la compréhension émancipatrice semble avoir été perdue. Le détournement des promesses abouti, aujourd’hui, à l’inversion du sens du mot liberté. Nous sommes passés, de l’idée d’émancipation à la nécessité de … s’exploiter soi-même.
Et pourtant, nombre d’entre nous souhaitent, dès maintenant, participer à cette refondation démocratique où chacun pourrait prendre ses responsabilités et où, tous, rassemblés au sein du quartier – de la commune jusqu’à l’Assemblée représentative –, nous pourrions contribuer aux prises de décisions, à l’issue de débats structurés. La liberté retrouverait ainsi sa signification d’autrefois quant il était encore possible de l’identifier au « pouvoir d’agir ». Comment comprendre que nos représentants futurs, les quelques rares qui prévoient d’échapper au néolibéralisme, envisagent, comme la plus radicale promesse, de réunir une Constituante afin d’édicter de nouvelles lois dans le cadre d’une 6e république hypothétique, qui sera dans l’incapacité d’échapper aux règles non écrites d’une mondialisation au service des intérêts financiers. Comment laisser entendre, auprès d’une population fortement politisée, que la démocratie se réduise au vote. Pourquoi ne pas mettre en œuvre, pendant la campagne électorale, un vaste débat collectif entre tous et où chacun.e pourrait s’exprimer, y compris à travers la critique des programmes des candidats ; que ce soit sur un compromis ponctuel entre aspirants au pouvoir, ou sur la façon de s’auto-organiser progressivement, afin de rendre réelle la devise républicaine en la détournant de l’auto-exploitation, de l’inégalité croissante et du rejet de l’autre. L’intervention directe, à l’échelle locale notamment, n’est-elle pas la meilleure façon d’enrayer la montée du Front national ? Résister mais aussi débattre avec un électorat « dégouté », las, n’est-ce pas à la portée de chacun, afin d’échanger sur les vrais raisons de ce choix parce que l’on connait ses voisins ; les entendre et les dissuader de commettre l’irréparable, comme le pratique, au sein des universités « populaires », nombre d’habitants des villes où la présence de l’extrême droite est importante comme à Toulon ou à Orange, par exemple. En effet, il est illusoire d’imaginer être entendu du haut d’une tribune, encore moins de s’exprimer par la voix d’un « tribun », si l’objectif est d’enrayer le populisme ambiant. Et les négociations au sommet entre candidat – en l’absence de toutes prises de position concrètes et publiques de femmes et d’hommes –, apparaît dérisoire quand la fraction réactionnaire se place au-dessus des lois et discrédite, voire avilit, toute parole émanant des politiques. Si nous voulons, à terme, sortir du néolibéralisme et aujourd’hui résister face au déni du droit, il nous faut, dès maintenant, prendre nos responsabilités et nous approprier les ressorts de la vraie démocratie ; si toutefois, les candidats nous le permettent.
Michèle Riot-Sarcey